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En exclusivité pour Chemlys, Bill Higdon, président de MTI (Microsensor Technology, Inc. ) de 1990 à 1998, a répondu à nos questions sur l’histoire de la microGC. Bill Higdon est un entrepreneur de Californie dans les années 80 qui, intéressé par les technologies MEMS naissantes, rachète MTI au bord de la faillite. Il en fera, en moins de 10 ans, la première société qui commercialisa dans le monde entier les premiers microGC et posera les bases d’un marché encore en croissance.

Mr Bill Higdon répond à nos questions, voici un extrait de nos échanges

Chemlys (XC) : MTI était connu pour son chromatographe miniature (microGC) et portable. Savez-vous si l’entreprise avait initialement cet objectif initial?

Bill Higdon : L’incorporation de la technologie MEMS dans un chromatographe en phase gazeuse s’est produite lorsque la NASA a accordé à l’Université de Stanford une subvention pour développer un petit instrument portable à faible puissance qui pourrait analyser les compositions de gaz. Terminée au début des années 1980, la technologie est restée la propriété de Stanford. Elle a été diffusée par une licence accordée aux chercheurs de Stanford qui ont formé MTI en 1981.

Chemlys (XC) : Comment avez-vous fait l’acquisition de MTI ?

Bill Higdon : En 1988, MTI était alors une entreprise de près de 10 ans qui était gelée dans de la recherche & développement étant gérée par un groupe de chercheurs de Stanford et n’avait pas gagné un penny en tout ce temps. La raison pour laquelle j’ai acheté MTI était d’en savoir plus sur la technologie MEMS. Les investisseurs étaient lassés de supporter MTI et voulaient vendre, faute de rentabilité. La première chose que j’ai faite, c’est de licencier le responsable R&D et le Président et, une année et demi plus tard, MTI était rentable et, les cinq années qui ont suivi, était parmi les 100 premières sociétés privées à forte croissance de Californie du Nord.

Chemlys (XC) : Même aujourd’hui, le microGC est considéré comme une technique avancée, alors même que les fondamentaux de cette technique ont maintenant 35 ans. Avez-vous senti, à l’époque, que vous réalisiez un projet avant-gardiste ?

Bill Higdon : J’ai acheté MTI pour la technologie MEMS. C’était l’unique raison¹. Le produit était très avancé, même au début des années 1990 peu après mon arrivée. De plus, j’ai pu constater l’énorme potentiel de cette technologie dans d’autres domaines d’application. Bien que les défis liés au procédé de fabrication aient été intimidants, certains d’entre nous ont tout de suite envisagé une toute nouvelle gamme de micro-produits où une véritable machine, pilotée par des micro-moteurs et son électronique associée, pourrait résider dans une matrice de silicium de 6x6mm. Des gyroscopes , des têtes d’injection à jet d’encre.. Tout un tas de capteurs étant de véritables micro-mécanismes pourraient être utilisés comme des dispositifs électriques et mécaniques dans un seul objet. Sandia Labs avait des micro-engrenages entraînés par des moteurs électroniques qui pouvaient tourner jusqu’à plus de 100 000 tr / min, car les engrenages tournaient sur des paliers à micro-usinage de précision avec une masse quasiment nulle à mettre en rotation.

vue de la vanne injection

Vue au microscope du siège de vanne d’injection d’un injecteur MTI

Chemlys (XC) : Avez-vous eu des difficultés à faire accepter cette nouvelle technologie par les clients?

Bill Higdon : Oui, l’introduction d’une technologie révolutionnaire dans le monde très traditionnel des combustibles fossiles était vraiment difficile. Nous avons souvent vendu des instruments grâce à des ingénieurs plus aventureux, qui les aimaient mais qui ne pouvaient pas faire en sorte que leurs supérieurs valident des achats supplémentaires. Il a fallu longtemps pour convaincre l’industrie du gaz naturel afin qu’elle réalise les avantages du microGC. Mais une fois qu’ils l’ont été, ils ont été vendus ! Cette industrie [ndlr du gaz naturel] est devenue l’un de nos plus grands marchés.

Je cherchais de nouveaux clients et j’ai appris que les usines de raffinerie de la Louisiane et du Texas utilisaient des instruments HP pour analyser un mélange gazeux de 37 molécules. J’ai donc demandé à plusieurs des raffineries si elles testeraient notre microGC contre le Chromatographe HP et ils ont dit qu’ils le feraient. Nous avons construit un microGC spécial avec 4 modules GC, appelé « Quad ». Un module GC était une boîte en métal de 4 x 4 x 6 pouces avec un Micro Injecteur, un Micro TCD et une Micro Colonne avec un radiateur sous celui-ci, tous pris en sandwich dans une mousse spéciale.

Après avoir complété le logiciel, nous avons construit 3 nouveaux analyseurs Quad et les avons emmenés dans les 3 raffineries prêtes à tester notre nouveau produit. Ils ont eu du mal à croire les résultats. Le HP GC a pris 22 minutes pour faire l’analyse des 37 composés. Notre Quad a fait l’analyse en 90 secondes et nos résultats étaient 3 sigma plus précis et répétables. Nous avons tué le marché des raffineries de HP totalement dès la deuxième année. Voilà pourquoi ils nous ont racheté.

Chemlys (XC) : Le microGC P200 est connu pour avoir participé au vol de Columbia sur la mission spatiale STS-94 en 1997. Je suppose que c’était une fierté pour vous et pour l’entreprise. Pouvez-vous me parler de cette collaboration pour ce projet particulier?

Bill Higdon : Une fois de plus, il a fallu un certain temps à la NASA pour analyser notre microGC et déterminer si il était acceptable pour leur utilisation particulière et leurs conditions. Nous avons dû faire quelques modifications mineures pour éviter que le microGC ne s’écroule dans leur test de vibration et nous devions utiliser une batterie différente, mais ils ont adoré la petite taille, la vitesse et la répétabilité de l’instrument. Ils ont utilisé le microGC pour surveiller l’air de la cabine.

Nous étions très fiers d’avoir notre microGC sur la navette, et c’était particulièrement cohérent puisque la NASA avait financé la recherche originale à l’université.

Vue des filaments du détecteur TCD des premiers MicroGC MTI

Vue des filaments du détecteur TCD des premiers MicroGC MTI

Chemlys (XC) : Selon mes souvenirs, et si mon information est exacte, MTI avait dans son projet le développement du Micro GC avec détecteur d’ionisation de flamme (FID). Pouvez-vous me le confirmer?

Bill Higdon : Oui, nous travaillions sur un Micro FID, mais HP ne voulait pas le poursuivre après avoir acheté MTI en 1998. HP a eu une période très difficile pour reproduire le microGC MTI, car ils avaient l’attitude typique des grosses sociétés qui savent tout. Ils n’ont jamais été en mesure de reproduire le niveau de qualité que MTI avait atteint au cours des années. Nous avions des employés avec une expérience de 10 à 15 ans dans la construction de nos microGC et, lorsque HP (à ce moment-là, qui deviendrait Agilent Technologies) a transféré la fabrication à Wilmington dans le Delaware (USA), ils n’ont pas gardé ce groupe d’employés talentueux : une erreur cruciale. Ils n’ont gardé qu’une mineure partie du personnel d’ingénierie, et ces personnes n’avaient qu’un minimum de soutien en interne et aucun encouragement à développer de nouveaux produits dès lors.

Chemlys (XC) : Qu’en est-il de l’injection de liquide? Était-ce en développement?

Non, nous n’avons jamais examiné l’injection de liquide.

Chemlys (XC) : Selon vous, qui est l’inventeur du concept microGC, la personne qui a eu l’idée d’associer MEMS et la chromatographie?

Bill Higdon : Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que l’équipe de R & D pour le microGC était une poignée de diplômés de l’Université de Stanford qui ont ensuite utilisé la technologie et ont commencé MTI avec un financement substantiel en capital-risque. Je crois comprendre que l’acceptation lente de l’industrie a été aggravée par une incapacité à contrôler les coûts. Après de nombreuses années sans aucun profit, ils ont du vendre la société en 1988/1989.

Merci à Bill pour sa disponibilité et nos échanges

Nous avons décidé de publier cet article pour montrer par cet exemple que l’innovation naît souvent d’un partenariat avec les universités qui ont besoin de financement. Mais que l’innovation ne suffit pas à la réussite commerciale d’une technique et à sa vulgarisation. Il faut convaincre les utilisateurs souvent réticents au changement, surtout dans l’industrie, et il n’est pas rare qu’un regard extérieur qui n’a pas participé au développement, se retrouve mieux placé pour développer le produit. C’est ce qu’à réalisé Bill Higdon avec la micro-chromatographie.

Un autre point dans le rapport à l’innovation est le phénomène de rachat par un grand groupe. Ces rachats ne sont que rarement sources d’innovation, bien au contraire. Lorsqu’une petite société fait de l’ombre ou prend des parts de marché à une plus grande – ce qui s’est produit avec la microGC dans le milieu du pétrole et du gaz – la société est rachetée pour protéger le marché existant. Mais le produit n’est pas nécessairement développé. Lors du rachat, le capital humain a été négligé et le savoir-faire a été perdu, ce qui a valu de nombreux problèmes à HP à l’époque, dans l’incapacité de faire un produit d’aussi bonne qualité.

Note de bas de page

(1) – Bill Higdon a beaucoup entrepris dans le domaine des microsystèmes puisqu’il était auparavant dirigeant d’autres entreprises dans le domaine. Diplômé de l’Université d’État de San Jose, dès 1975, M. Higdon a fondé Santa Clara Plastics, Inc. et l’a intégré au plus grand fabricant de bancs semi-conducteurs humides au monde.
En 1981, il a lancé une autre société d’équipement de semi-conducteur, Estek. Estek a développé une station de nettoyage, de rinçage / séchage RCA entièrement automatisée, et une station de tri des plaques (wafers). En 1988, il a assisté au redressement de Optical Specialties, Inc., une société de mesure de largeur de ligne.
En 1990, il a sauvé Microsensor Technology, Inc. (MTI) de la faillite pour en faire l’une des 100 entreprises privées de plus forte croissance de Californie du nord. MTI avait sa propre production de capteurs de silicium et réseaux de micro-vannes pour leurs instruments de chromatographie en phase gazeuse ultra-rapide.
M. Higdon est maintenant à la retraite en Virginie, toujours passionné par les technologies, il participe à des concours de robotique au niveau international.